En quoi le numérique interroge-t-il la forme scolaire ?
Avec l’arrivée d’outils numériques en classe, c’est la forme même de cet espace pédagogique qui est remise en question. Enseignants et chercheurs ont entamé une réflexion sur les nouvelles formes pédagogiques.
Depuis des décennies, la forme classique d’un cours a lieu dans un établissement scolaire, dans une salle de classe, avec un professeur au tableau qui s’adresse à des élèves derrière leurs pupitres. Depuis quelques années, et a fortiori avec l’arrivée du numérique dans l’école, ce format est remis en question. Plusieurs facteurs contribuent à cette nouvelle réflexion sur la forme scolaire traditionnelle.
En effet, le savoir est aujourd’hui accessible à tous, encore plus facilement que par le passé. Internet comporte un large éventail de nouvelles ressources, disponibles instantanément en quelques clics. Toutefois, comme l’actualité en fait la démonstration, de nombreuses sources trouvées sur le web ne sont pas dignes de confiance, diffusant de fausses informations.
Le rôle de l’éducation n’est donc plus uniquement d’apporter un savoir aux élèves, mais aussi de leur apprendre à traiter ce savoir. L’enseignant est au premier plan pour évaluer comment le jeune public se situe par rapport aux informations qu’il ingurgite. L’école est un lieu pour inculquer un esprit critique aux élèves et les éduquer sur les bonnes pratiques du numérique.
Aujourd’hui, dans de nombreuses salles de classe, enseignants et élèves ont une tablette entre les mains et un tableau numérique interactif en lieu et place des traditionnels carnets de notes et tableau noir. Toutefois, ces nouveaux outils n’ont pas changé la façon de faire cours, avec toujours un professeur en face de ses élèves.
Pour de nombreux acteurs du monde éducatif, l’intégration du numérique à l’école doit pourtant être l’occasion de réfléchir sur ces méthodes. Que faire avec le numérique ? Quel est son impact sur la pédagogie ? Doit-on faire la même chose qu’avant ou essayer quelque chose de neuf ?
Il est possible et nécessaire de garder des moments d’enseignement « frontal », avec l’enseignant au tableau face aux élèves. Mais il faut aussi réfléchir aux moyens supplémentaires qu’offre le numérique, d’où l’intérêt d’une réflexion autour de l’intégration des outils et ressources numériques au sein d’une session pédagogique. Cela permet notamment la création d’ateliers de travail, de faciliter la mobilité des élèves, de créer des studios audiovisuels, pour apprendre d’une façon différente.
Il ne s’agit pas de changer la pédagogie simplement pour changer la pédagogie : ces éléments permettent de sortir les élèves d’un statut passif pour les rendre acteurs, moteurs de leur propre apprentissage.
Avec la crise sanitaire et la fermeture des classes, l’enseignement à distance s’est généralisé. Grâce à des nouvelles solutions numériques, la continuité pédagogique peut être garantie. Avant la Covid, l’enseignement à distance était marginal et relevait plus du domaine du CNED.
Désormais, cette question n’est plus optionnelle. De nombreuses réflexions ont toujours lieu sur les modalités pour permettre et faciliter cette hybridation de l’enseignement entre l’école et la maison.
Ce changement de mentalité et cette situation de l’école mise devant le « fait accompli » représentent l’un des plus importants bouleversements de la forme traditionnelle dans la façon de faire cours.
Ce « cas limite » de l’enseignement à distance, Sandrine Bourrain, enseignante et co-auteure du livre Le corps au cœur des apprentissages*, l’a étudié du point de vue physique, des corps des individus concernés.
« Il y a eu une véritable désincarnation de l’enseignement », explique-t-elle. « Les enseignants et les élèves ont été éprouvés et on leur a demandé de faire preuve d’une énorme adaptabilité. Ce n’est pas rien. D’autant plus qu’avec les confinements, dans de très nombreux foyers, toute la famille était à la maison. Des adolescents ont donc changé de rythme de vie, en restant éveillé plus longtemps la nuit, pour s’autoriser un espace privé, personnel, nécessaire mais difficile à obtenir dans de pareilles circonstances. »
Pour Sandrine Bourrain : « la présence du corps permet une incarnation, apporte du concret. La relation entre professeur et élève ne peut pas être dématérialisée. La présence physique est un levier important pour la motivation, la concentration et l’action qui engage les individus dans leur travail ».
Les outils numériques doivent aider à « réintroduire du mouvement dans la classe et former les élèves à l’adaptabilité à chaque fois qu’on demande de changer la forme d’enseignement », selon l’enseignante.
Certaines compétences ne sont pas disciplinaires puisqu’elles concernent la confiance en soi. Pour Sandrine Bourrain, c’est aussi le rôle de l’enseignant d’accompagner physiquement les élèves, pour les mettre devant la classe, leur faire prendre la parole, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux, qui sont très portés sur l’image du corps, celle que les élèves contrôlent et souhaitent montrer.
« Le premier réflexe lors du confinement a été de retrouver la classe frontale, par visio-conférence. Nous avions donc un prof qui parle à ses élèves par caméra, tout comme la forme classique du cours. Or, pourquoi ne pas profiter de tous ces outils pour changer les espaces physiques de l’école ? En créant des studios, pour que les élèves créent du contenu ? À l’extérieur, pour ouvrir leurs horizons ? Ou encore en poussant plus la classe inversée ? », s’interroge-t-elle.
Le numérique aide donc l’enseignant à démultiplier sa force de frappe pédagogique car au final, c’est bien l’être humain qui reste au cœur du processus d’apprentissage. La période est toutefois propice aux réflexions sur la transformation des méthodes dites traditionnelles, transformation permise grâce aux nouvelles technologies.